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LES EVADES DU FUTUR

I. FICTION

Générique

Rue d’une grande ville. Musique.

Asimov : Le monde est aujourd’hui « fini ».

Musique. Gratte-ciel à New York. Toit du gratte-ciel, flaque d’eau dans laquelle se reflète la tête de John Brunner.

John Brunner : Il faut constater que malgré notre meilleur volonté, nous mourons tous dans un pays étranger.

E.A. : Qu’appelez-vous un pays étranger ?

John Brunner : L’avenir !

Musique. Ted Sturgeon se penche sur une chaise, dans un maison baba cool de la Côte Ouest :

Ted Sturgeon : Humboldt, l’explorateur américain de la fin du XIXe siècle, trouva, au fond de la jungle du brésil, une tribu primitive qui possédait un perroquet. L’oiseau ne parlait pas leur langage ; il parlait celui d’une autre tribu, plus loin dans la jungle, qui s’était éteinte – dont tous les membres étaient morts. C’était la seule créature vivante sur terre à parler le langage de ce peuple mort !


E.A. commentaire :

Un perroquet sera-t-il le seul être vivant en l’an 2000 à parler le langage des hommes ? Le temps des horloges s’est déréglé. On voyage à travers le temps, mais on ne contrôle plus la machine. Les media ont réduit le monde à un « village planétaire ». L’enthousiasme de Jules Verne devant les découvertes de la science victorienne, le pessimisme de Wells à l’époque de Marie Curie ont fait place à des réponses plus denses, plus nuancées. Au jeu des préférences et des nécessités, nous en avons choisi six : intérêt pour les média, avec John John Brunner ; écologie, avec Ted Ted Sturgeon ; politisation, avec Norman Norman Spinrad ; orientalisme, avec Philip Philip Dick ; optimisme scientifique, avec Isaac Asimov ; psychédélie, avec Bob Silverberg. Depuis quelques années, avec le développement des sciences humaines, la science-fiction s’est de plus en plus tournée vers des considérations anthropologiques, sociologiques et psychologiques. La planète à explorer, ce n’est plus Mars ou la Lune, c’est l’homme lui-même.

John Brunner : L’histoire de la science moderne, c’est l’histoire du développement des techniques pour manipuler des choses, des éléments, de plus en plus inexacts. On peut presque dire la même chose de la politique moderne : la variété, l’universalité de ce qu’on appelle en anglais bloody mindness, la résistance de l’individu, milite contre le système politique exact. Après avoir vu la bombe atomique et les fusées V2, les écrivains de la S-F se sont mis à considérer plutôt les réactions humaines et personnelles que les réactions mécaniques. Ensuite, nous avons changé de question centrale. Auparavant, on demandait : est-ce qu’on peut faire exploser des bombes atomiques ? Est-ce qu’on pourrait lancer une fusée vers la lune ? Maintenant, nous savons que c’est possible. La question qui nous reste, qui est beaucoup plus importante, c’est : si nous ouvons faire tout ça, pourquoi est-ce que nous ne pouvons pas vivre ensemble dans un monde possible ?

Hollywood : maison de bois, à grandes baies, Interview de Norman Spinrad, bouteille de vin, bougies.

Norman Spinrad : L’Amérique entière commence à se transformer en une version Dysneyland d’elle-même. Hearst Castle (images) est un grand château en toc, pas un vrai château. Mount Olympus (images), c’est un bouquet de rues aux noms grecs. Et l’on cherche à vous convaincre qu’il s’agit d’une sorte d’environnement grec, alors qu’il s’agit d’une concentration horrible de bâtiments. Sans parler de Disneyland même … Forest Lawn (images), un cimetière qui cherche à être tout sauf un cimetière où l’on enterre les gens. Car les gens détestent penser aux choses désagréables comme la mort. L’Amérique est réellement en train de se créer un environnement presque totalement artificiel. Sun City, où l’on envoie mourir les vieillards, en réalité, c’est un ghetto rose bonbon. On dirait qu’il y a une intention là-dessous : celle de tout transformer à l’image de ce qu’on voit à la télévision et qui est du carton-pâte. Il y a deux tendances opposées – ici, et dans la civilisation occidentale en général : l’une qui tend vers une « plastification » croissante de tout et vers des modes de vie toujours plus artificiels. L’autre tendance se manifeste dans les communautés hippies et chez ceux qui prêchent la vie naturelle …

Si vous prenez, par exemple, les media, la télévision et son impact sur la conscience humaine, c’est aussi une science dont parle d’ailleurs le sociologue Marshall McLuhan. C’est sans doute la science montante de notre siècle : la science de l’interaction entre l’environnement et la conscience humaine. Si vous êtes en mesure de contrôler l’impact sensoriel sur la pensée d’un grand nombre de gens ( ce qu’on peut faire à travers la télévision), vous pouvez manipuler leur conscience et acquérir un grand pouvoir politique. Car le pouvoir, c’est essentiellement le pouvoir de changer la conscience. C’est ce qu’a fait Hitler après tout ! L’homme de la rue américain a très peu de sens critique. Prenez la dernière élection. Voyez ce qu’on a élu et ce que c’est devenu. Cette élection a été manipulée, volée par des cambrioleurs, des gens habillés en homosexuels ont été envoyés par Nixon pour discréditer Mc Govern, et toutes sortes de choses bizarres de ce genre …

- Deux livres de la nouvelle vague traitent de la télévision. Le vôtre, Jack Barron et celui de John John Brunner, Tous à Zanzibar. Quelle est la différence ?

- Tous à Zanzibar est un roman traditionnel et politique, qui relève de John Dos Passos, celui des années Trente ou Quarante. Il traite des institutions, des conditions économiques. Mon livre, Jack Barron, est un roman psychologique.

- Mais votre Jack Barron est un type un peu caricatural – Walter Cronkite ou Johnny Carson ?

- Ce n’est pas Walter Cronkite non plus. Non, Jack Barron est un présentateur de show télévisé au caractère tout à fait imaginaire. Evidemment, il y a bien des gens réels qui lui ressemblent à la télévision, mais sa forme d’action n’existe pas encore aujourd’hui. Je veux parler, disons, de son extraordinaire pouvoir politique.

E.A. commentaire :

Expériences sur le cerveau, mort des religions, résurrection de Dieu sous une autre forme … le dernier tabou, la mort, s’effondre en Amérique. Par-delà les siècles, on retrouve l’espoir de survie – et les bénéfices commerciaux – des embaumeurs de l’Egypte antique : aujourd’hui, en Amérique, on cryogénise, c’est-à-dire que l’on conserve dans un container de glace un cadavre que l’on espère réchauffer, rajeunir, guérir, à quelques années – géologiques ou astronomiques – d’aujourd’hui. Dans Ubik, Philip Philip Dick, dans Jack Barron, Norman Norman Spinrad se sont inspirés de cette promesse d’éternité. Un fan, Forrest Ackerman, a décidé de mourir en science-fiction :

Forrest Ackerman : Cryonique ou cryogénique ? Pour moi ce serait la grande, l’ultime expérience. Images de cryogénisation. Vers 1929, Buck Rogers est devenu mondialement connu dans la bande dessinée : il entre en hibernation et dort cinq cents ans (comme Rip van Winckle) pour se réveiller dans le futur. Je ne vois aucune possibilité de vivre cette expérience, sinon à travers la cryonique. Si je meurs, plutôt que de penser que c’est la fin de ma vie, ce serait plus excitant de me dire que peut-être vingt-cinq ans plus tard, la maladie dont je serai mort serait guérissable et que je serai ranimé dans le futur. Voilà un moyen instantané de voyage dans le temps.

Norman Spinrad : Dans mon livre, les gens paient pour qu’on congèle leur corps et qu’on les rende plus tard à la vie, mais on ne tient pas à les ranimer, car on perdrait l’argent qu’ils donnent. C’est donc une affaire basé non sur l’immortalité acquise, mais sur la promesse de l’immortalité. Et après tout, n’est-ce pas ce que les religions ont toujours vendu ? Quel est le pouvoir de l’église catholique par exemple ? Elle promet aux gens l’immortalité !

E.A. commentaire :

Celui qui manipule la technologie, celui qui manipule les media, celui qui manipule les sciences détient le pouvoir. Comment en éviter l’usage abusif ? C’est aussi de ce sujet que traite Jack Barron :

Norman Spinrad : Tout le monde veut le pouvoir, mais pas les modifications qu’il inflige à la personnalité. On est donc écartelé entre la tentation du pouvoir et celle de la lucidité. Les gens qui semblent le plus à l’aise dans l’exercice du pouvoir (Richard Nixon, J. Kennedy, De Gaulle) n’ont pas une lucidité totale sur eux-mêmes, moins que la plupart des autres gens. Je préfère voir des leaders politiques qui se sentent ambivalents devant le pouvoir. Ceux qui craignent l’exercice du pouvoir sont bien plus capables de l’exercer sagement que ceux qui ne sont jamais troublés. Avec quelqu’un comme Hitler à droite, à l’extrême droite, ou avec des gens d’extrême gauche, il est facile de s’écrier : « Ce sont des extrémistes ! », mais quand il s’agit d’un gars du centre … Watergate a été un coup d’Etat du gouvernement contre la constitution des Etats-Unis. Le gouvernement légalement élu a tenté d’abolir la constitution pour instaurer la dictature et il a été très près de triompher. Car il prenait appui sur le centre, il contrôlait les media, la vie économique, et il est très difficile de combattre cette tyrannie du centre. C’est une des choses dont traite Jack Barron : la tyrannie vient d’un vaste consensus du centre.

E.A. commentaire :

Pour Philip Philip Dick, la science-fiction n’est pas seulement une « speculative-fiction », elle met en cause un présent différent. Allant plus loin que Norman Spinrad dans sa remise en cause de la civilisation occidentale, il pose la question :

Philip Philip Dick (se promenant dans Disneyland) : Qu’est-ce que la réalité ? Chacun de vous peut ainsi se demander où il en serait si certains choix avaient été posés différemment, si des décisions différentes avaient été prises. Nous serions aujourd’hui d’autres personnes. La réalité est un carrefour à chaque moment du temps.

A la promenade dans la foule de Disneyland, se substitue l’espace des décors de la compagnie cinématographique Fox à Hollywood. Norman Spinrad et Philip Dick se tiennent près d’un bateau, devant des immeubles gratte-ciel.

Philip Dick : Oui, et c’est vrai au niveau de l’homme de la rue comme des dirigeants. Je veux dire : un bonhomme quelconque n’a pas fourni une certaine arme à un certain moment de la bataille, et voilà qu’on aboutit à la défaite du roi Richard III réclamant un cheval. Ce n’est pas toujours les dictateurs qui influent sur les événements, Norman, mais aussi les petites gens.

Norman Spinrad : Dans mon livre Iron Dream, le Rêve de Fer, le point de différence dans le temps est que Hitler en a assez de ces nazis de toc autour de lui …

Philip Dick : … Il vient aux Etats-Unis …

Norman Spinrad : … oui, et il devient un auteur de science-fiction. Qui sait alors quelle est la réalité la plus incroyable ? Regardez ce qui nous entoure, c’est une bataille navale de cinéma, et là derrière, ils édifient Century City, qui est très réel pour les gens, mais la raison en est que la Century Fox a perdu vingt millions de dollars sur le film Cléopâtre et qu’ils ont dû vendre une partie de leur terrain pour édifier ces choses que l’on appelle « réelles » …

Travelling, musique, retour sur le bateau :

Philip Dick : Voilà l’Arizona de Pearl Harbour, une sorte de drame grec dont l’horreur ne peut être supportée que parce qu’elle est devenue un spectacle. Pour moi, ces bateaux sont réels parce qu’ils fonctionnent, vous voyez, ils fonctionnent, et la réalité doit être définie plus par la fonction que par la substance. Ce sont de vraies pièces de sculptures. Evidemment, vous pouvez regarder un tableau et vous dire que ce n’est qu’une toile sur laquelle on a mis des couleurs acryliques, vous pouvez vous poser des questions de ce genre, mais un tableau c’est bien autre chose. Moi, je suis venu là avec l’intention d’évoluer dans un environnement truqué, mais je suis pris au piège de sa réalité.

Commentaire : résumé du livre Le Maître du Haut Château.

Philip Dick : Voilà quelques-uns des bateaux coulés à Pearl Harbour. C’et lié dans ma tête avec ce livre car là, à partir de Pearl Harbour, les Japonais ont gagné la guerre.

Norman Spinrad : Le plus curieux, c’est qu’on a utilisé ces bateaux pour une coproduction américano-japonaise …

Philip Dick : Oui, dans le film Tora Tora Tora, les Japonais sont vaincus. Ici, l’Arizona est un bateau qui a englouti tant de gens ! C’est la plus grande tragédie de la guerre moderne. Ce qui me tracasse, en tant qu’écrivain de science-fiction, c’est l’opposition du réel et de l’imaginaire. Un livre dans lequel l’Allemagne et le Japon ont gagné la guerre, évidemment, c’et imaginaire, car dans la vie ce n’est pas arrivé. Moi-même, parfois, je confonds, je pense que c’est arrivé, parce que j’ai écrit un roman à ce sujet. Mais ces bateaux sont-ils imaginaires ? J’ai le sentiment qu’il suffit parfois de quelques degrés pour passer de l’irréel au réel. Cela me semble si réel en fait – Norman Norman Spinrad vient de montrer un galion espagnol, alors là j’ai un grand problème pour distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. La réalité de tout ce qui m’entoure me frappe : voyez, je viens d’accrocher ma chemise à ce bateau ! Mais voyez les détails : ici tout est brûlé, c’et exact dans les moindres détails. La seule différence, c’est qu’ils sont plus petits que ceux de Pearl Harbour. C’est cela, la seule différence. Mais pendant quelques secondes, j’ai été victime de l’illusion.

- Pour vous, la Century Fox, c’est merveilleux, car Hollywood est la ville de l’irréel ?

- De l’irréel ? Dans quel sens ? Les drames grecs de 600 av. J-C étaient irréels, le dieu Bacchus était irréel. C’est trop simple d’appeler irréels les drames et les films. Moi, je ne trouve pas Hollywood irréel, je trouve seulement la circulation encombrée. Quand j’étais petit, je vivais à Washington ; j’allais au Smithsonian Institute où ils avaient conservé l’avion des frères Wright, celui de Lindbergh, des pistolets de la Première Guerre mondiale, et dites-moi la différence entre Hollywood et tout ça, ce ne sont pas des volutes de fumée à travers lesquelles passe votre main, ce ne sont pas des objets imaginaires ou rêvés.

- Après la Fox, Disneyland … (nous marchons tous les trois dans Disneyland)

- Je le décrirais comme la projection du cerveau d’un homme avec toutes les facettes de son esprit : son enfance, ses idées du futur, ses idées du présent, ses idées de l’aventure avec des crocodiles, des pirates et des cannibales.

E.A. commentaire

Qu’est-ce qui est réel ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Qu’est-ce qui est normal ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Le mouvement de l’anti-psychiatrie, en Angleterre et en Italie, a déjà posé la question que reprend Philip Dick dans un de ses meilleurs livres, Les clans de la Lune Alphane.

Philip Dick : Je voudrais montrer la réalité à travers les yeux de psychotiques, puis à travers les yeux d’une personne ordinaire, donc une « réalité » qui pourrait soudain se diviser en cinq ou six réalités. Je m’intéresse aux enfants autistiques, car nous ne savons pas encore très bien de quelle façon ils perçoivent la réalité.

Norman Spinrad : C’est un exemple de cette notion de réel, si sophistiquée en Amérique. En regardant ce bateau (il désigne un bateau blanc à aube, dit « du Mississipi »), on peut voir une réalité qui n’a jamais existé, une sorte de synthèse du passé. Et voici un train monorail, un élément du futur. On parle du trafic de masse (il désigne la foule que nous dominons d’un pont), vous en voyez un exemple. En un sens, le monorail est plus réel que le métro de New York. Le métro est une antiquité, cela, c’est du réel !

Philip Dick : Oui ! c’est déjà un élément de la réalité future. La complexité de tous ces … ces trucs que vous voyez ici montre bien la complexité de la notion de réalité, car même pour recréer ce qu’un cerveau tel que celui de Walt Disney a imaginé, on est obligé de créer de nombreux niveaux qui se chevauchent.

Norman Spinrad : C’est une forme d’art à la James Joyce.

E.A. commentaire

La science-fiction, devenue littérature psychédélique, explore le cerveau. Tantôt à l’aide de la drogue …

Bob Silverberg : Aldous Huxley a publié un livre, Les portes de la perception, il y a près de vingt ans, je l’ai lu, il parlait de drogues. Je me suis dit que je devais en connaître plus sur ce sujet et je les ai expérimentées, ces drogues, quand elles étaient encore autorisées aux Etats-Unis. Bien sûr (sourire en coin), maintenant qu’elles sont interdites, je n’y touche plus du tout.

- Quelles drogues ?

- LSD, mescaline, psylacybine. Ce sont les drogues sérieuses. La marijuana, c’est amusant, mais ça n’ouvre pas les portes d’un autre monde – les drogues psychédéliques le font.

Asimov : Moi, au contraire, je pense que lorsque vous prenez ces drogues qui soi-disant « élargissent le champ de la conscience », vous interférez avec le travail du cerveau. C’est comme si vous frappiez une montre avec un marteau … cela rend peut-être un joli son, mais voilà, la montre ne marche plus aussi bien après ! Timothy Leary (l’inventeur du LSD chez Hoffmann-La Roche)) a le droit de faire des expériences avec son cerveau, car il a peu à perdre. Moi, j’ai beaucoup à perdre et je ne veux pas.

E.A. commentaires

… tantôt à l’aide d’enfants et d’ordinateurs, avec Marvin Minsky, du MIT (Massachussetts Institute of Technology)…

Ted Sturgeon : Le professeur Minsky expérimente dans la même direction. (Nous sommes chez Ted Sturgeon dans une très jolie « cabane », avec lapins sur lesquels nous nous penchons, matelas d’eau et aquarium, au fond duquel j’ai fait placer un miroir, ce qui donne l’impression que le visage de Ted Sturgeon flotte au milieu des poissons). L’un des premiers à disposer d’un financement et d’un laboratoire bien équipé pour découvrir comment nous pensons. C’est pourtant là un point que les gens tiennent pour acquis. Nous pensons, d’accord, mais comment ? Peut-être n’utilisons-nous que les deux-tiers ou le dixième de notre esprit, nous ne savons pas exactement. Et ce que nous utilisons, nous ne savons ni comment ni pourquoi. Ce qui a bouleversé la vie de Timothy Leary, l’a même obsédé, c’est la question « à quoi utilisons-nous la partie négligée du cerveau ? Si on ne la découvre pas, si on n’en trouve pas l’usage, elle disparaîtra à jamais de l’univers. En un clin d’œil. Et là, Leary pense comme un écrivain de science-fiction, ni dans un temps biographique – depuis ma naissance – ni dans un temps historique, mais dans un temps géologique et astronomique. Leary a exploré, avec le LSD, une possibilité. Le professeur Minsky, du MIT, en explore une autre. Il n’y a pas un seul chemin, une seule réponse. Le grand iconoclaste Charles ord l’a dit une fois : une seule réponse ne les contient pas toutes, ou bien nous devons chercher, ou bien nous ne survivrons pas. La plupart des dictionnaires traduisent « science » par « ordre », cela fait penser à l’image d’un homme en blouse blanche tenant une éprouvette, le Savant. On parle d’ordre, de méthode, de système de connaissances. Cela ne m’a jamais satisfait. J’ai ouvert un dictionnaire étymologique et je me suis aperçu que « science » vient du mot latin scientia qui signifie connaissance. Ni méthode, ni ordre, ni système – connaissance.

E.A. commentaire

C’est ce que Ted Sturgeon appelle la « spéculative-fiction », qui concerne l’innerspace, l’espace intérieur de l’homme.

Ted Sturgeon : Je pense que toute ma vie, j’ai été obsédé par l’homme optimum. On peut définir le meilleur usage d’un œil, d’un foie ou d’un estomac, mais quand il s’agit d’un cerveau, de l’esprit, qu’est-ce qu’un cerveau optimum, un esprit optimum ? Il y a quelques années, je vivais à Sherman Oaks, un quartier de Los Angeles, coupé de ma famille, seul, moribond, je n’avais pas écrit pour ainsi dire depuis six ans … Un jour, j’ai reçu une lettre de fan. J’en reçois pas mal et d’habitude, je n’y réponds pas. A celle-là, j’ai répondu, je ne sais pourquoi. Il y avait là quelque chose qui me fascinait. Je suis allé à la poste, j’ai passé le reste de la journée à répondre à la lettre, paragraphe par paragraphe. Elle venait d’une journaliste de Londres, pleine d’humour, d’une imagination folle, elle avait lu depuis des années toutes mes œuvres. En quatre mois, ses lettres ont atteint cette épaisseur … Nous sommes tombés amoureux, elle a pris l’avion pour m’épouser. Nous ne nous étions jamais vus, nous n’avions jamais vu de photo l’un de l’autre. L’un de nous prenait un risque terrible … je ne sais pas qui.

E.A. commentaire

La plupart des écrivains de science-fiction ont choisi de vivre sur la côte californienne, surtout ceux qui ont choisi une vie dans la science-fiction envisagée comme littérature psychédélique.

Bob Silverberg : Le futur, il fait sans cesse irruption en Californie. Aux Etats-Unis, c’est l’endroit où l’avenir commence, le laboratoire de toutes les expériences sociales. En fait, né à New York, c’est ici, en Californie, que je fais non seulement l’expérience du choc des cultures, mais aussi du choc du futur, tous les jours. Chaque jour j’apprends, en parcourant la planète, que nous n’avons pas besoin de la science-fiction pour nous inventer des lieux étranges. Car nous vivons dans un monde plein de cultures étrangères qui nous contraindront toujours à changer nos habitudes, à nous définir au-delà de la confusion. C’est une très belle formule qu’Avlin Toffler a trouvée, le « choc du futur ». Son idée de base est remarquable.

- Laquelle ?

- Que les changements vont s’accélérant, que tout ne devient pas seulement plus étrange, mais plus étrange plus vite. Une société où chacun peut satisfaire ses besoins sans répression ni dictature, avec l’intention de respecter le voisin, est une utopie, un rêve. L’utopie serait pour moi la Californie sans tremblements de terre (rire). Je pense que c’est un merveilleux endroit, que la société qui s’élabore ici peut être merveilleuse, au sein évidemment de la structure capitaliste qui est la nôtre. La société que nous avons ici, aux Etats-Unis, évolue de cent ans chaque année, d’ici dix ans, nous aurons peut-être totalement changé. La société ne meurt pas, elle change. Celle des années 60 est déjà séparée de la nôtre par un grand mur. La société de 1984, à son tour, aura absorbé tant d’événements nouveaux et étranges qu’elle sera encore profondément différente de la nôtre. Aujourd’hui que les structures traditionnelles s’effondrent, que les religions existantes n’offrent rien de convaincant, c’est presque un blasphème de le dire, mais pour moi, la science-fiction devient le sustitut d’une religion organisée, d’une charpente de sensations et de sentiments. Il n’y a plus de structure donnée, nous les créons. (devant ma moue dubitative :) Vous voulez être Elizabeth Antébi toute votre vie ? Toute la vie ? Communiquer avec quelqu’un c’est très difficile, très important, toutes les religions en parlent : se fondre dans l’harmonie universelle des arbres et des insectes. Chacun de nous commence à le faire dans la conversation, dans le sexe, dans la discussion, ce qui est évidemment un drôle de moyen, ou peut-être à travers des modes de pensée encore mal connus. C’est fascinant, cela m’attire et tous les livres en parlent.

Ted Sturgeon : Moi, je sépare Dieu des religions établies. Pour moi, les religions établies (il peut évidemment y avoir des exceptions) sont des organisations séculaires, non spirituelles, qui ont pour fonction première leur propre perpétuation comme organisations séculaires. Il y a des églises qui ont des propriétés, qui gèrent des affaires et qui sont hiérarchiquement établies pour cela, ici, sur terre … Or, deux orientations existent en nous : l’une, bien sûr, c’est le sexe, mais la seconde, aussi forte, aussi répandue, c’est le besoin d’un culte. Si l’on détourne nos temples de nous, nous encenserons un joueur de base-ball, une star, un astronaute, mais nous avons besoin d’un culte !

Asimov : Qu’est-ce que Dieu ? Dans mes romans, la chose la plus importante, le concept essentiel, ce sont les lois de la nature. Alors, je pense que les lois de la nature représentent le concept de ce que nous pensons sous le nom de Dieu.

E.A. commentaire

Déçus par l’Occident et ses promesses rarement tenues, les auteurs de science-fiction, comme bien des représentants de la jeunesse américaine, se tournent vers l’Orient, et prennent comme livre de chevet le Yi-King, « livre des changements » ou « livre des mutations ».

Bob Silverberg : Nous nous tournons vers tout cela parce que nous en sentons le besoin. Après être parvenu à un certain lieu spirituel, ce n’est pas ça qui nous y conduit.

Philip Dick : Le Yi-King, c’est un ordinateur primitif. Il a environ trois mille ans. C’est le plus vieux livre du monde, un ordinateur avant la lettre. Vous l’utilisez en jetant des tiges qui retombent d’une certaine manière en réponse à vos questions. Ces réponses se font sur la base de ce que le physicien allemand Wolfgang Pauli a appelé la synchronicité. Il y a environ 3 300 lignes et 64 hexagrammes de base, et vous obtenez des coïncidences impressionnantes en réponse à vos questions.

E.A. commentaire

Alors ? Quel peut être le rôle de l’artiste dans cette scoiété de simulacres et de violence, de contradictions, de survie, de changements ?

Bob Silverberg : Que veut dire être artiste aujourd’hui ? Dans cette société ? Aux Etats-Unis ? Rien.

E.A. commentaire

Philip Dick lui a une réponse plus ambiguë :

- Vous pensez que c’est une grande faute d’oublier aujourd’hui l’artiste dans les conceptions de l’avenir ?

- Qu’est-ce qu’un artiste ? Un artiste est quelqu’un qui tente délibérément d’imposer une forme à la matière informe, par la peinture, l’écriture, la musique, ou en dessinant de jolies cartes pour bouteilles de lait. Est-ce que vraiment je n’en ai pas parlé dans mes livres ?

- Non, pas vous, mais les futurologues se soucient peu de cette vision artistique du monde ?

- Oui, nous avons un philistin en chacun de nous qu’il faut combattre. Le poète anglais Auden a dit, une fois, que les gens, dans les temps des plus grandes tragédies, trouvent plus de réconfort dans de vieilles cartes de vœux banales et « cul-cul-la-praline » que dans le grand art. Ca m’a impressionné. J’ai pensé « mon Dieu, il a raison » : il y a des chants populaires qui font sur moi plus d’effet que presque tous les grands poèmes de John Dunne ou même de Shakespeare.

II. Science

Une rue de New York, nous traversons la rue pour gagner le hall de IBM où je film l’interview avec Asimov, celui des auteurs qui défend la « technique » de l’Occident..

Asimov : Dès les débuts de la science-fiction, une des personnages-type était le savant fou qui utilisait le progrès scientifique à des fins perverses : il voulait tuer le héros, changer l’héroïne en langouste, etc. Puis il y a eu des histoires avec des savants et des techniciens qui inventaient des choses dangereuses aux effets imprévisibles. Donc la science-fiction n’a jamais idolâtré la science, elle n’a jamais été dupe. Elle a toujours su qu’un mauvais usage de la science, qu’une déviation accidentelle étaient toujours possibles. On a toujours su que chaque pas que fait la science devait être examiné avec prudence. La connaissance ? oui, on peut l’accroître sans limites. Mais l’usage de la connaissance, comment l’appliquer ? Cela exige sagesse et prudence. Vous savez, le pouvoir des savants n’est pas si grand qu’on le croit. Car les savants sont contrôlés par les gens qui les emploient. Les grandes décisions, ce ne sont pas les savants qui les prennent, mais les généraux, les politiciens …

- … et les hommes d’affaires …

- Et les hommes d’affaires, oui. Moi, je préférerais une participation plus directe des savants aux questions politiques et sociales, parce qu’ils comprennent sans doute mieux les conséquences du progrès scientifique, mieux que ceux qui ne sont pas savants. Et ils devraient se faire écouter avec plous de respect. Mais vous savez, un savant n’est pas Dieu parce qu’il est savant. Nous devons enfin réaliser que la science est un des seuls domaines de l’humanité qui soit vraiment international. La science ne varie pas : chaque groupe culturel possède une culture propre, un langage à lui, une manière personnelle de danser ou de manger, mais tous ont la même science. Même si un groupe national ou culturel n’aime guère l’Occident, quand il veut développer une science, il prend la science occidentale : il n’y en a pas d’autre. Même si le monde non-occidental a découvert certains aspects d’une connaissance de la nature, comme par exemple l’acupuncture pour les Chinois, celle-ci n’aura de valeur que dans la mesure où elle s’insère dans la structure occidentale de la science. Si l’humanité accède un jour à ce sentiment de « nous les Hommes au centre de l’univers », ce sera à travers la science.

Philip Dick : Il est en effet étonnant de voir à quel point un de mes héros ressemble à Edward Teller (père de la bombe H). J’ai été étonné, une fois le livre fini, de constater cette coïncidence avec un homme, père de la bombe à hydrogène, qui avait assez perdu son bon sens pour envisager la destruction du monde.

- Alors, pour vous, les savants ont une grande responsabilité dans le monde d’aujourd’hui ?

- Oui ; à l’époque où j’écrivais ce livre, bizarrement, le Dr. Teller aboyait ses théories aux quatre coins de l’Amérique, pontifiait, et il m’a évidemment un peu influencé dans mon avis sur les savants et leur peu de sens des responsabilités.

- Est-ce à dire que vous condamneriez Einstein ou tout autre chercheur de la physique nucléaire ?

- Je place Einstein dans la même catégorie que Teller et Oppenheimer aussi d’ailleurs. Tous. Je ne sais pas pourquoi le fait que les calculs d’Einstein aient servi contre les Allemands et ceux de Teller contre les Russes instaureraient une différence. C’est le même genre de savants à œillères, avec la même machine à penser qui scintille et fait « blip, blip, blip, bombe, bombe, bombe, construis, construis, construis ». Bien sûr, Einstein était un type charmant, il mangeait des gâteaux, il aidait les enfants à faire leurs devoir, mais … il a inventé la bombe.

Asimov : Voilà comment se pose le problème : vaut-il mieux pour l’humanité être libre de prendre des décisions qui aboutiront probablement à sa propre destruction, ou bien doit-elle s’en remettre au contrôle des machines pour son confort et son bonheur, au prix de sa liberté ?

- Alors que souhaitez-vous le plus ? Croyez-vous possible d’avoir les deux ?

- Moi, je ne donne pas de réponses, je me contente de poser le problème. Dans mon livre La Fin de l’Eternité, je présente ce choix entre contrôle et sécurité, ou bien liberté et danger. Dans Les Robots, je choisis contrôle et sécurité ; dans la Fin de l’Eternité, j’opte pour liberté et danger. Donc, en parcourant mes livres, vous pouvez me voir prendre différents points de vue : je présente les pièces du dossier dans un cas comme dans l’autre. C’est au lecteur de faire son choix.

- Et votre choix à vous ? Les gens peuvent se dire que c’est facile de poser les problèmes, et vous, quel est votre choix ?

- Moi ? Le sort du monde exige peut-être contrôle et sécurité, mais, dans mon cas personnel, je choisirais plutôt liberté et danger. Je pense en tout cas que plus nous aurons à faire à une technologie avancée, plus chacun aura voix au chapitre. Peut-être même est-ce d’un surcroît de technologie que naîtra plus de démocratie à l’échelle planétaire. Une démocratie où l’opinion de chacun comptera, où le moindre sujet entraînera un vote rapide, où chacun pourra recevoir une éducation plus efficace, sera mis au courant des problèmes et solutions possibles. Supposons que les ordinateurs soient développés au point de devenir un jour intelligents, plus intelligents peut-être que l’être humain ? Un ordinateur vraiment intelligent serait à mon avis supérieur à l’être humain pour contrôler l’univers. Au cours des trois milliards d’années ou plus qu’a duré l’évolution de la terre, les organismes plus efficaces ont toujours remplacé les organismes moins adaptés. Nous ne nous indignons pas du fait que les mammifères ont hérité de la terre à la mort des reptiles géants, nous tombons d’accord que le primate homo sapiens est sans doute le plus prospère des mammifères, alors, si nous l’admettons, il est juste que des espèces encore plus perfectionnées nous remplacent. Or, être plus perfectionné que l’homme, c’est se montrer plus intelligent que lui. Ces espèces plus intelligentes auraient été créées par l’homme ? Alors, bravo, autant à notre crédit ! Mais voilà, nous ne sommes pas absolument sûrs de mettre dans l’ordinateur les ingrédients qui constituent notre cerveau, nous n’en savons pas assez sur le cerveau. On essaie de comprendre le cerveau humain à l’aide du cerveau humain … il faudrait unir plusieurs cerveaux pour résoudre le problème … et un ordinateur peut devenir nécessaire pour formuler les résultats. Alors, si les ordinateurs nous aident à comprendre les mécanismes du cerveau, cela peut nous aider à devenir plus intelligents, plus humains ; puis les machines s’améliorant, nous pourrions aussi nous améliorer. Je nage peut-être dans l’utopie, mais peut-être aussi qu’un jour l’Homme et la Machine se dresseront ensemble face à l’Univers. Ma série d’ouvrages, Fondation, Fondation et Empire, etc., exprime mes vues : les individus sont, sur une large échelle les marionnettes de mouvements sociaux qui les dépassent. Il est impossible pour l’individu de remonter le courant de l’histoire humaine. Au fond, peu importe notre action, le courant nous entraîne. C’est une sorte de déterminisme social. La question qui se pose est : comment être sûrs que ce que les techniciens jugent préférable est préférable ? Comment savoir si les techniciens n’infléchissent pas l’histoire dans le sens de leur intérêt personnel ? Qui garde les gardiens ? La science-fiction américaine est presque entièrement une littérature de Blancs, du côté des écrivains comme de celui des lecteurs. C’est sans doute parce que seule la population blanche américaine a eu la possibilité de recevoir une éducation technologique, technique et compte des savants.

Silverberg : Quand Mozart écrivait Don Juan, il n’échappait pas aux problèmes de l’époque, des années 1780. Il existe toujours des problèmes qui se posent dans le monde extérieur, je ne me sens pas capable de les résoudre avec un livre. Je peux seulement offrir une manière de les regarder.

- Vous avez un jour assisté à une conférence sur le thème « Comment l’homme peut-il survivre ? », et vous avez remplacé cette question par une autre …

- … « L’homme doit-il survivre ? ». Oui, on peut se le demander : l’humanité est-elle le point final de la Création, le but auquel l’univers travaille ? Ou sommes-nous une sorte de rouille du monde ? Je voudrais penser que l’équipe qui a eu Mozart est très importante, mais c’est la même qui créé Hitler.

Décors de la Fox.

Spinrad : Si Hitler avait écrit, je crois qu’il aurait écrit ce genre de littérature que j’ai inventée pour lui, de sang et de fiction. Dans Iron Dream, je me suis fait plaisir, en négligeant tout l’aspect politique et économique du nazisme pour le considérer sous son seul aspect psycho-sexuel. C’est typique du nazisme, il n’y a pas de nazis italiens, sous cet angle, Mussolini n’était pas Hitler.

Dick : En ce moment, on vend des T-shirts Hitler, Hitler est l’événement de l’année …

Spinrad : … le nouveau culte !

Dick : Cela m’effraie, cette résurgence, je ne crois pas du tout que ce soit un événement du passé, refoulé dans le temps.

Spinrad : Bizarrement, Hitler a tenté de faire en Allemagne une version noire et psychotique du monde de Disneyland. Il a voulu, comme Disney, modeler le monde selon ses visions.

Dick : Vous savez, le Christ n’était apparemment que le membre d’une hérésie mineure de Judée, de la secte essénienne, et sa mort a transformé cette secte en mouvement international. Je pense que la destruction des nazis allemands, la mort d’Hitler et de ses maréchaux ont dissocié le nazisme de l’Allemagne même et l’ont transformé en mouvement international qui existe partout sous des formes différentes, à l’Est comme à l’Ouest, qui s’infiltre parmi nous, de manière insinueuse, souterraine. Il existe un Parti nazi américain, mais ce n’est pas ce que je veux dire. Je veux dire qu’il existe un vaste mouvement souterrain nazi, mentionné dans mon livre Odessa, et le nom de cette organisation secrète est « Odessa ». Je sais qu’ils existent, j’en ai rencontré des membres, ils sont vicieux, immondes et très dangereux, pas seulement pour les Juifs, mais pour l’humanité. Leur totalitarisme a contaminé le gouvernement américain, certains épisodes du Watergate ne sont pas sans faire songer à leurs agissements : les politiciens et les pratiques des conspirateurs du Watergate sont très proches des pratiques nazies à l’époque de l’incendie du Reichstag. La disparition des adversaires politiques, une législation extensible, voilà bien des similarités avec l’administration nixonienne, non ?

Quelques documents de l’époque dont le World Earth Catalog (« catalogue de la terre entière ») qui énumère tout ce qu’il faut sauver du monde à l’orée de la grande catastrophe.

Silverberg : Le World Earth Catalog reflète moins le besoin de changements dans notre civilisation que le besoin de survivre dans un monde trop difficile. C’est l’encyclopédie du « choc du futur », qui tient compte de la jeunesse, des pauvres, de ceux qui se tiennent en dehors d’une société à faire de l’argent. Dans ce livre, on trouve les moyens de manger, de vivre, de s’habiller (si l’on veut) ; si j’étais un historien collectionnant les documents du XXe siècle, je me réfèrerais au World Earth Catalog comme document de base.

- Vos « cités imaginaires » sont très proches de celles de Paolo Soleri l’architecte d’Arizona, qui évoquent aussi les « phalanstères ».

- Oui, nous avons une planète si petite, si nous la couvrons de béton, elle meurt, il faut construire en hauteur … mais ce n’est pas là que j’aimerais habiter !

Retour à New York, dans le hall d’IBM :

Asimov : Le fait que l’exploration spatiale soit si étroitement sous contrôle militaire n’a jamais été prédit par la science-fiction, et cela nuit à sa popularité car la plupart des gens y voient une expression de l’impérialisme américain. J’en suis désolé. Evidemment, la politique spatiale soviétique est tout aussi militaire … Peut-être au fond est-ce la seule manière de la concevoir pour l’instant. Mais, avec le temps, j’espère que se développera une politique spatiale plus purement scientifique. Si une toute petite micro-société se développait sur la lune, elle vivrait très proche de ses limites, elle devrait faire très attention à ne pas gaspiller ses munitions, à ménager l’eau, à recycler les déchets, etc. Autrement dit, une colonie lunaire de ce genre vivrait dans le monde que nous allons affronter et nous donnerait des leçons de conduite valables. Ce serait comme une sorte de modèle expérimental réduit.

Congrès international des auteurs de science-fiction à Toronto :

Fritz Leiber : La science-fiction est une littérature différente des autres, car la connaissance a ses racines dans un acte de foi : la croyance que la science, la technologie peuvent aider les gens à accéder à une connaissance plus vaste, les aider à résoudre les problèmes de la planète – même si la technologie ne sert qu’à efffacer les mauvais effets de … la technologie.

Farmer : J’ai toujours considéré ma littérature comme une forme de traitement médical. Je saisi l’univers dans tout ce qui m’intéresse, je m’en empare : la science-fiction est une forme d’intégration de l’univers par l’homme.

Van Vogt : Nous avons parfois cinq ou six solutions pour un seul problème, toutes ne sont pas bonnes, mais elles ouvrent la voie vers d’autres directions. L’écrivain de science-fiction est un personnage original de notre société qui s’est familiarisé avec une douzaine de sciences.

Asimov :

Moi, j’ai reçu une éducation scientifique, je suis un savant. Les jeunes auteurs, ceux de la « Nouvelle Vague » - Ellison, Spinrad, Brunner, Zelazny … -, non seulement n’y connaissent rien, mais dévalorisent la science : dans leurs histoires, la technologie a le mauvais rôle, ils cherchent la solution ailleurs, dans le mysticisme, la drogue. Honnêtement, je crois qu’il n’y a rien à trouver de ce côté, mais au lecteur de faire son choix. Nous ne pouvons, en tout cas, plus nous agiter aveuglément et nous dire « S’il y a une erreur, nous la corrigerons ». Nous avons atteint ce moment du temps où les erreurs sont si lourdes de conséquences et notre marge d’erreur si faible que nous ne pouvons plus nous croire capables de les corriger : nous avons à prévoir. »




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