Ma vie est un Roman
Personnages




Princesse Brigitte Beauharnais-Romanovsky

Me voilà en train de porter un chapeau de la Princesse, une colombe évanouie sous filet de gaze. C’est elle qui m’a offert mon premier chapeau, quelque chose de rond, percé, à rubans : « Quand tu ne te plais pas, tu mets un chapeau, on regarde le chapeau, pas toi. Quand on vieillit, il faut le porter de plus en plus grand … ». Brigitte, Chantoutou (la photographe Chantal Regnault) et moi habitions, à Haïti, dans la vaste maison d'Aubelin Jolicoeur.

C’est ainsi que nous sommes vues la première fois, et elle me sermonnait au bord de la piscine de l’hôtel Olofsson : « Tu ne te peins pas les orteils, crois-moi ma fille, tout est dans le pinceau ! » J’ai découvert peu à peu une artiste généreuse, impérieuse, respirant la poésie burlesque, abhorrant la réalité, avec une collection magnifique de tableaux haïtiens et de déshabillés langoureux. Je l’ai vue séduisante, avec sa tête fine posée au bord des chapeaux, son rire de gorge, ses mains et ses petits pieds ourlés en coussins de brocards. Je l’ai vue odieuse aussi, par bouffées, pour voir, comme une gosse qui casse ses jouets pour qu’ils rebondissent et livrent des ressorts et des yeux de porcelaine bien plus excitants que les visages peints ou les toupies qui tournent. Elle s’est offert la traversée du Transsibérien. Elle a offert à ma fille le plus gros éléphant en peluche blanc du monde et une marmite de fonte en forme de cœur, ou à moi des parfums perdus parmi des jetés de roses sur papier de soie. Princesse, je t’attends, reviens pendre chez moi ton vison violet …





Mathilda Beauvoir

Cité Véron à Paris, non loin de Pigalle, dans un passage chanté par les frères Prévert, les initiés des nuits parisiennes venaient parfois chercher des frissons de beauté et peut-être d’autre chose au Club Vaudou du numéro 7, si j’ai bonne mémoire. Là, l’une des plus jeunes et talentueuses danseuses révélées par le Théâtre des Nations, officiait en spectacle-rituel. Mathilda irradiait la force, le talent, l’amour de la danse, un certain flirt avec l’au-delà, mais surtout la maîtrise des forces qu’il lui arrivait de déchaîner. Ce fut ma deuxième rencontre avec Haïti, après Maud. Claude Planson, l’époux de Mathilda, écrivit un livre sur le Vaudou, dont je fus quelques mois l’attachée de presse.





André Bercoff

J’ai été l’une des premières personnes que notre Caton favori (sur la photo, il assiste à un spectacle vaudou chez Mathilda Beauvoir, cité Véron) ait découverte en arrivant de son L’Orient Le Jour de Beyrouth à l’Express rue de Berri à Paris. Le hijo de su madre, le « prince de sa maman », se lança dans la mêlée avec un appétit gargantuesque, une bonne humeur et une convivialité avant la lettre qui m’ont toujours attendrie. D’une intelligence aiguë, non dénué de cœur – ce qui est rare dans le milieu, Bercoff a fait depuis carrière à la télévision et en littérature, et dans l’art, trop peu pratiqué de nos jours, du pamphlet sous le nom de Caton. Un jour, sur la trace de mon grand-père, saisie de l’ivresse des archives, je suis tombée sur le sien : ils s’étaient connus lorsque mon grand-père, natif de Damas et mandaté par Rothschild, vint secourir le sien, natif de Beyrouth et installé à Zikhron-Jacob, non loin de Haïfa. Plus tard j’ai découvert la photo du dit grand-père (le sien), l’œil noir et peu commode et nous dînâmes à la Tour Eiffel pour fêter ça. Courageux, Bercoff s’est lancé à l’assaut de la reconstruction de la France, en appelant à des qualités viriles, voire physiologiquement réservées aux hommes - on se demande pourquoi, puisque j’en suis. Nous échangeons parfois quelques courriers, de Caton à Aspasie …





Klaus von Bismarck

Au printemps 1976, j’avais assisté, à Cracovie, en Pologne, à une conférence organisée par la Ford Foundation, pour préparer les accords de Belgrade, succédant à la conférence d’Helsinki. A l’époque les Soviétiques étaient désireux d’échapper à l’ostracisme des psychiatres d’Occident, manifesté à une réunion internationale à Honolulu. Tous les dirigeants de télévisions occidentales, et quelques journalistes comme la Canadienne Denise Bombardier, avaient été conviés. Bismarck dirigeait l’une des chaînes allemandes à Cologne. Moi, je ne représentais rien, sauf Pierre Schaeffer, alors directeur du Service de la Recherche à l’ORTF, qui, connaissant mon intérêt et mes travaux, avait jugé judicieux de m’envoyer à sa place. D’un côté de la table, l’Ouest ; en face, les pays de l’Est, avec, dans la délégation soviétique, Uglov, de l’agence Novosti. Au dîner, je me trouvai entre ceux qui devinrent mes amis par la suite, Ivo Lederer, un Yougoslave de charme qui représentait la Ford Foundation, et Klaus von Bismarck, que vint saluer toute la délégation allemande de l’Est, claquant des talons, et s’inclinant d’un coup sec des épaules en l’appelant « Herr Graf », Monsieur le Comte. Je posai les jalons de mon voyage en reprochant aux Soviétiques de ne pas m’avoir autorisée à aller filmer Akademgorodok, la cité des savants, et leur demandai officiellement de m’autoriser à interviewer les pontes de la psychiatrie soviétique, dont le professeur Snejnevski. Le soir, au seul club de Cracovie avec strip-tease, s’il-vous-plaît, athlétique s’il en fut, nous allâmes boire et danser, avec Bismarck et Uglov. Uglov me dessina un lit et me dit : « Vous voyez les malentendus entre peuples : un étranger tend un papier à une jeune fille avec le dessin que vous voyez, elle lui donne une claque. Or il voulait juste connaître l’adresse d’un magasin de meubles. » Et il m’en tape les cuisses de rire, mais son œil est perçant d’intelligence. Plus tard, il téléphone à ma chambre, à l’université Jagellon où nous sommes logés : « Golouba, colombe, j’ai de la vodka au poivre, au citron, viens boire un peu. » Je me dis que c’est l’occasion rêvée pour mes autorisations. Je vais frapper à côté, à la porte de Klaus, pour qu’il me serve de chaperon. Nous avons bu trois jours et trois nuits, Klaus veillait à ce que je ne lâche rien de trop personnel ou de compromettant pour d’autres. Nous arrivions éméchés et le dernier jour je me suis écroulée pour dormir sur le manteau de Klaus, mais … j’ai été reçue à l’hôpital psychiatrique moscovite plus tard, quand je suis passée à Moscou, j’ai pu entrevoir Snejnevski et interviewer longuement le professeur Vartanian. Par la suite, j’ai souvent revu Klaus von Bismarck, devenu Président du Goethe Institut. Des hommes de cette trempe, téméraire et sage, affectueux et lucide, cavalier hors pair, danseur hors norme, père et mari loyal et tendre, sont-ils encore parmi nous ? Je l’espère de tout cœur. Ci-dessous, l’un des dessins qu’il m’envoyait pendant les conférences « Un exemple de la manière de surmonter les obstacles opposés par la justice »


Jacques Boedels

Avec Jacques Boedels, ce n’est pas rien, nous avons remporté le « Prix du Palais Artistique et Littéraire », pour un livre magnifique, admirablement écrit par cet avocat insolite, très érudit, sur Les Habits du Pouvoir : la Justice, mis en page par Tillmann Eichhorn.


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