Ma vie est un Roman
Personnages




Pierre Tardon

Le fils de la célèbre Manon, résistante et femme de passion, qui, lorsque nous déjeunions chez elle, tirait en plein repas au revolver sur les vipères du jardin, petit-fils croyais-je de l’écrivain Raphaël Tardon, auteur de La Caldeira, superbe roman sur l’éruption du volcan au début du siècle, m’a souvent emmenée sur sa moto visiter l’île. Je lui dois des moments charmants, des bains de lune sur la plage face à l’îlet Cabri, des plaisanteries (puisqu’il était métis) sur mon « travail de nègre » - c’était encore l’époque où l’on pouvait plaisanter. Un e-mail récent de sa cousine germaine France A. me précise que Pierre, fils de Manon et de l'avocat Jack Sainte Luce Banchelin portait, de fait, le nom de son père, et qu'il n'était pas le petit-fils mais le neveu de l'écrivain Raphaël Tardon. Approximation du souvenir ... il s'était surnommé (ou l'avais-je surnommé ?) "Patapluche" - tel il est resté dans ma mémoire. Plus tristement, elle m'apprend qu'il est mort en 2001, le 25 avril, laissant une femme, deux fils et un petit-fils. Le joli terrain de l'Anse Couleuvre est désormais administré par le Conservatoire du littoral. Le centenaire de la catastrophe qui a inspiré La Caldeira a été célébré en 2002. Voilà. Tout cela est désormais entré dans l'histoire. Seul, un parfum de fleurs, de mer, l'écho de rire s'attardent, hors de portée du temps des hommes.





Claude Tchou

Trop de caviar et de plaisir partagé a interjeté appel à ma condamnation pour trahison au bannissement de ma mémoire. L’un des éditeurs les plus esthètes de son temps, les plus raffinés et mon Dieu fort cultivé, mérite quelques lignes ici d’hommage navré. Car mon souvenir reste baigné de sauce aigre-douce. Je l’ai connu au pinacle dans ses bureaux de la rue du Mail où il venait de produire l’Histoire d’O illustrée par Léonor Fini. J’avais eu un accident de taxi, il me fit coucher par terre sur le ventre et me massa le dos – fort bien au demeurant. Des relations entamées ainsi ne pouvaient manquer d’être originales. Il me demanda en 1977, alors que je travaillais à VSD, de partir pour les Antilles diriger une encyclopédie en plusieurs volumes. J’appris plus tard qu’on la vendait à la longueur de reliure sur le rayon de bibliothèque. Je me suis senti investie de la mission d’en faire quelque chose de réellement travaillé et non de succomber à la facilité du « couper-coller » enveloppé dans une jolie boîte à chocolat. Ce ne fut pas sans soubresauts, mais grâce à l’amitié de l’antenne de la maison d’édition à Fort-de-France, Josette Demetz, et de ma chère Katleen Wallerand, ainsi que d’Emile Hayot qui me laissa venir dans sa maison des journées entières pour consulter sa bibliothèque, j’y parvins. J’ai retrouvé, de cette époque, un belin (le fax n’existait pas encore) envoyé à Tchou et que j’ai dû taper moi-même dans la poste de Saint-Martin, le 16 novembre 1978, tant il était long. J’y pointais toutes les erreurs et retards de fabrication, les délais ahurissants, les nèfles touchées par les auteurs, l’impossibilité de jouer les femmes-orchestre. Par la suite, nous nous revîmes, plutôt dans les périodes noires traversées par l’ami scorpion dont le dard se fourbissait toujours dans l’ombre, au moment les plus inattendus. Son raffinement, sa perspicacité, son écoute, ses méandres me séduisaient toujours et je croyais avoir rêvé la zone obscure. L’ai-je rêvée ?





Tigrée

Toute petite, à gauche, avec deux de ses frères et soeurs, quand nous l’avons sauvée Charlotte et moi des tyranniques enfants du Club Med de Pompadour. Au moment de partir, elle m’a sauté dans les bras. Je l’ai gardée et c’est la plus douce des chattes, parlant, ronronnant, se lovant, grignotant pour les laver les oreilles de « son » chien, Charmant.





Roland Topor

La dernière vision que j’ai de Roland, c’est lorsque, couché sur les marches de mon escalier, il jouait avec ma fille et mon chien. Puis nous sommes partis dîner à sa « cantine » de l’époque, La Table d’Anvers. Au cimetière Montparnasse, au détour du chemin, je suis soudain tombée sur sa tombe, avec, dans un cendrier, sa pipe. Je n’imagine pas Topor mort. Il a trop accompagné ma vie onirique depuis les années 1968 où je lui consacré mon premier article dans Le Magazine Littéraire. Je lui avais présenté son épouse, Fabienne, fille de Jacques Deval, connue toute jeune au Lycée Molière. Il m’a peinte vieille, pour me punir, quand j’étais jeune. Il m’a offert des mots et dessins souvent, envoyé ses livres avec des dédicaces comme cette pomme dont le trognon est une Eve vers laquelle une main tend le dard du serpent. Je lui dois le dessin de couverture de mon premier livre, Ave Lucifer, et tant d’explorations et de découvertes … Il était un ami merveilleux, un grand artiste, un coeur tendre. Récement, un internaute, Frantz Vaillant, m'avise de la "mise en ligne" d'un blog sur Topor, où l'on réentend sa voix.





Frédéric de Towarnicki

Il est dans nos vies des êtres légendaires, voire mythologiques. Celui que j’ai longtemps appelé L’Iguane (il en avait les paupières), et qui s’intitulait lui-même le « Satrape aux mille provinces », « le conseiller secret de Madame Ming », est de ceux-là. Poète, journaliste, explorateur de l’invisible, il m’a invitée, un soir où nous nous étions attardés à L’Express, à venir chez lui boire du Vin des Moines. Dans sa bouche, ce Vin des Moines prenait des proportions de boisson des dieux de l’Olympe. Nous étions peu avant les événements de mai 68 et nous sommes passionnés à l’époque tous deux, au même moment, pour le Printemps de Prague, Soljenitsyne, ce qui couvait en Pologne … Fils d’un noble polonais, venu en France à cinq ans avec sa mère, élevé à l’ombre du « sérail niçois » et dans les « coulisses jésuites », scénariste d’Alain Resnais pour un Harry Dickson qui resta dans les cartons, il avait vingt-cinq ans quand je suis née. Or ce fut cette année-là qu’il eut la rencontre qui marqua sa vie : animateur culturel de la division Rhin et Danube, et dans l’intention d’organiser une rencontre Sartre-Heidegger, il se rendit en Forêt Noire pour rencontrer le philosophe allemand dont il avait lu le Sein und Zeit qui l’avait ébloui. Il en publia un compte-rendu dans Les Temps Modernes, mais il fallut attendre près d’un demi-siècle pour en lire le détail dans le très beau livre Les Souvenirs d’un Messager de la Forêt Noire. Désormais, il se consacre, entre deux interviews d’écrivains, de philosophes, à l’exploration sans cesse recommencée de la pensée de Heidegger, il rencontre René Char, il lit Hannah Arendt. Il marche de long en large dans son salon de la rue de la Glacière et expose ses dernières recherches à un bouquet de jolies bas-bleu de ce qu’il appelle la Spitzberg Schule. Un temps, je les ai surnommées Clair de Lune, Lune Rousse, Lune d’Absinthe … Poète, auteur de fados, il séduit par sa voix grave, son œil de saurien, son café qu’il répand sur vos genoux :

La rue mène au bout de la rue
Puis s’en va
comme elle est venue
Et ma vie est ce qu’on fait d’elle,

Ou encore :

Ils travaillaient le fer
Au blanc des arcs-en-ciel
Et leurs poupées de sel
Descendaient dans la mer

(poème écrit en 1942-1943, allusion aux temps du nazisme)


JANVIER 2008 : Deux de ses livres vont sortir : Coplas et son scénario écrit pour Resnais, Les Aventures de Harry Dickson. Frédéric de Towarnick n'est pas mort ...


Jacques Vallée

Astrophysicien, écrivain, Prix Jules Verne à 22 ans, installé aux Etats-Unis en 1962, docteur en informatique de la Northwestern University, spécialiste des soucoupes volantes, auteur de romans policiers , Jacques Vallée, né en 1939, est un personnage peu réductible aux résumés. Un visage long, étroit, des cheveux argent, des yeux gris, des gestes rares, au ralenti, il est allergique aux pollen et oreillers de plume. Aujourd’hui, il investit dans le capital-risque, envoie de temps à autre une « Lettre de Californie » au Figaro (ces lettres sont réunies dans un Blog que l'on peut lire en passant par son site www.jacquesvallee.com), et vit toujours à San Francisco. Nous avons partagé des moments exaltés, émouvants, au cours de mes recherches aux Etats-Unis, il m’a souvent conseillée et a inspiré mon article sur le venture-capital. Il est l’un des rares à servir de pont entre cette rive et l’autre de l’Atlantique, l’Ancien et le Nouveau Monde, et à toujours laisser ouverte la porte du rêve.





Hervé Verrin


Hervé, mon voisin, est bouquiniste, amoureux des costumes napoléoniens et créateur de magnifiques dioramas. Ami fidèle, il a toujours répondu « présent » quand il s’est agi de veiller sur ma maison ou de partager les chagrins et les joies de la vie quotidienne. Je nous souhaite que cela dure longtemps.

















King Vidor

Auteur en 1925 de La Grande Parade sur les Américains pendant la Première Guerre mondiale, cinéaste de l’individu et de ses conquêtes, ou, en 1928, de l’individu broyé par La Foule, King Vidor (1894-1982) était l’une de mes grandes admirations lorsque je suis arrivée en Californie au tout début des années 1970. J’avais vu Duel au soleil (1947), le Rebelle (1949), et, évidemment, son adaptation du roman de Tolstoï, Guerre et Paix (1956), sans parler de Salomon et la reine de Saba (1959), que j’aimais moins. Je l’ai donc rencontré et nous avons passé une journée magique à parler de ses films. Je me rappelle – contrairement à Fritz Lang rencontré aussi à cette époque – un être apaisé, en paix avec lui-même, triste de ne plus tourner (les compagnies ne voulaient plus l’assurer), mais heureux de mon enthousiasme et de ma passion à parler de ses œuvres. Il avait le sentiment du travail accompli.





Silvano Villani

Grand reporter au Corriere della Serra, Silvano avait été envoyé en 1971 couvrir les fêtes du Shah d’Iran à Persépolis. Le soir du « son et lumière », tous deux habillés en robe du soir et smoking de velours noir, nous avons été aiguillés vers l’estrade des princes et non des journalistes, ce qui nous a donné l’occasion de voir de plus près les grands de ce monde. Je l’ai revu souvent, à Rome, et, ces derniers temps, il s’occupe, si j’ai bien compris d'un livre « scandaleux » qu’il vient de sortir, de savoir où gît le corps du Christ. Silvano est un mélange de sérieux, de sophistication et de théories éberluantes, qui m'a toujours ravie.





Vladimir Volkoff

Né à Paris en 1932, Volkoff se flatte d’être orthodoxe et d’origine russe. Ancien officier du renseignement, spécialiste de la désinformation, il a écrit sur le sujet L'Agent triple, Le Retournement, Le Montage, entre autres ouvrages. Il avait accepté, lorsque je dirigeais les éditions Hologramme, d’écrire la préface du livre que nous avons publié sur Les Légionnaires, avec des photos de Jane Atwood. Croyant bien faire, j’avais scellé cette collaboration par un déjeuner où j’avais invité, outre Vladimir et Jane, mon amie Anne de Boismilon qui venait de tourner un film sur la Légion. Las ! nous vîmes, au grand amusement de Vladimir, deux nâjâs royaux en train de s’affronter. Nous nous sommes retrouvés en train de signer nos livres, chez le même éditeur, Le Rocher, où il a publié l’enthousiasmant Manuel du Politiquement Correct.
Quelques mois après avoir accordé un entretien à mon journal en ligne "Aspasie", Volkoff est mort, subitement, disparaissant comme sans doute il aurait aimé, sans fioriture.


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